Des artistes nous donnent à voir des mondes imaginés, réceptacles d'univers inventés, répertoires d'ouvres, situations poétiques.
Né le 28 juillet 1887 à Blainville-Crevon en Seine-Maritime, Marcel Duchamp est le fils du notaire de Blainville-Crevon, et le petit-fils d'Émile Frédéric Nicolle homme d'affaires avisé et artiste, qui enseigna l'art à ses petits-enfants. Il est issu d'une famille de six enfants, dont le sculpteur Raymond Duchamp-Villon (1876-1918) et les peintres Jacques Villon (Gaston Duchamp, 1875-1963) et Suzanne Duchamp (1889-1963), mariée au peintre Jean-Joseph Crotti. C'est auprès de ses frères, de sa sour et de leurs amis qu'il entreprend son apprentissage de la peinture.
À ses débuts, il fréquente principalement des artistes d'inspiration cubiste tels que Fernand Léger et Robert Delaunay, ou encore Albert Gleizes et Jean Metzinger, auteurs de l'ouvrage Du Cubisme qui pose les bases théorique du cubisme en 1912. Il est présent au côté du groupe de la Section d'or en 1912 à Paris pour une exposition à la galerie La Boétie. Cette année, capitale, lui fait découvrir Raymond Roussel et Jean-Pierre Brisset, dont l'impact perdurera sa vie durant.
En 1913, aux États-Unis, les nouvelles recherches européennes sont présentées lors de l'exposition Armory show à New York. Le Nu descendant un escalier provoque hilarité et scandale. Cette ouvre dénote des tendances cubistes au futurisme de la « photo-dynamique ». Il s'écarte de la peinture, vers 1913-1915, avec les premiers ready-made2, objets « tout faits » qu'il choisit pour leur neutralité esthétique : Roue de bicyclette (1913), Porte bouteilles (1914), Fontaine (1917), un urinoir renversé sur lequel il y appose la signature « R. Mutt ». Cet objet est refusé par les organisateurs de l'Armory show.
Il a pris un article ordinaire de la vie la plus prosaïque qui soit et l'a placé de manière à ce que sa signification d'usage disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue. Réformé en 1914, il part à New York et entretient des liens avec Man Ray, Alfred Stieglitz et Francis Picabia avec qui il fonde la revue 291. Il eut un impact non négligeable sur le mouvement dadaïste, courant auquel on peut rattacher Mariée mise à nu par ses célibataires, même (1912-1923).
Duchamp était préoccupé par le temps, la vitesse et la décomposition des mouvements. Ce qui l'a justement amené, en 1925, à faire du cinéma expérimental, appelé l' « Optical cinema », avec son unique film Anemic cinema (35 mm, noir et blanc de 7 min). Son film présente des plaques rotatives qui deviendront plus tard, en 1935, les Rotoreliefs. Ces plaques tournantes comportent des jeux optiques, des jeux de mots, et de la géométrie.
À travers ses ouvres, Duchamp mène une réflexion sur la notion d'Art, sur l'esthétique, préparant ainsi ce qu'est l'art conceptuel. Le pop-art et le happening ont aussi fait de fréquents emprunts aux pratiques et démarches artistiques de Duchamp. Les écrits de Marcel Duchamp ont été publiés sous les titres Duchamp du signe (1958) et Marchand du sel (1958). Il fut également le créateur d'un personnage fictif, Rrose Sélavy, sculpteur et auteur d'aphorismes maniant la fausse contrepèterie et l'allitération. Son ouvre la plus riche et la plus étrange, à l'élaboration complexe, est la Mariée mise à nu par ses célibataires, même ou Grand Verre, réalisée sur panneau de verre (1915-1923, musée de Philadelphie). Le Grand Verre est l'aboutissement de plusieurs études préliminaires telles que Neuf moules mâlics (1914-1915) qui correspond à l'obsession d'une « vraie forme » invisible, obtenue par contact, afin de synthétiser toutes ses théories magiques et sa théorie de l'art comme « fait mental ». Réalisée à l'huile, feuille et fil de plomb, montée entre deux plaques de verre, cette étude fut fêlée lors de son transport en 1916, mais Marcel Duchamp refusa de la faire restaurer. Ainsi les critiques d'art, qui auront connu cette ouvre uniquement brisée, déclareront qu'elle a toujours été ainsi.
Boîte en carton contenant des répliques miniatures d'ouvres, 69 photos, fac-similés ou reproductions de tableaux, collées sur chemise noire
Marcel Duchamp a envisagé l'édition d'une boîte qui rassemble les ouvres qu'il a réalisées depuis le début de sa carrière. Ainsi naît l'idée d'une sorte d'album qui présente des images de ses peintures (le Nu descendant un escalier, la Broyeuse de chocolat...) mais aussi des reproductions miniatures en trois dimensions de ses sculptures et de ses ready-made, parmi lesquels bien sûr, la Fontaine.
Grâce à la richesse des objets qu'elle contient, cette édition devient une ouvre à part entière : la Boîte-en-valise, achevée en 1941 ; une ouvre dont la particularité consiste à réunir une multiplicité de pièces qui sont en même temps des reproductions et des originaux.
Duchamp propose en somme un petit musée portatif.
Né le 24 décembre 1903 à Nyack (États-Unis)
Décédé en 1972 à New York (États-Unis)
De 1917 à 1921, Joseph Cornell fait des études classiques à l'académie Phillips d'Andover. Il doit travailler dès 1921 et exerce jusqu'en 1950 différents métiers pour vivre (vendeur de lainages, pigiste pour des journaux...). Il développe dans le même temps son ouvre artistique en autodidacte. Proche des surréalistes et de Max Ernst, il expose pour la première fois à New York en 1932.
Au cours d' « explorations », Joseph Cornell chine des objets, des papiers, des photos, des gravures anciennes... Il les juxtapose dans des cages de verre, des Boîtes et réalise des assemblages. Dans ses Boîtes, il parle de la solitude, du temps, de la réminiscence proustienne. Il confronte les objets du passé, détournés de leur usage, au présent et au spectateur (qui peut même les déplacer) et élabore une véritable poétique (Medici Slot Machine, 1942).
Il crée des collages et des objets, sélectionne, collectionne et expose des objets-souvenirs (Portrait of Ondine, 1945). Il réalise également des films avec des éléments de films trouvés par hasard (Rose Hobart, 1936) qui le mèneront dans les années cinquante à collaborer avec des cinéastes comme Rudy Burckhardt et Stan Brakhage (Seraphina's Garden, 1958).
Souvent présenté comme un satellite dans la constellation surréaliste, Joseph Cornell est une figure essentielle de la création en Europe et aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. L'exposition se concentre sur les années 1930-1950, qui correspondent aux années de maturité de l'ouvre de l'artiste et à une phase de diffusion importante du surréalisme aux Etats-Unis.
Le travail de Joseph Cornell se caractérise par la diversité et l'interrelation des pratiques et des formats en deux et trois dimensions : collages, pièces et boîtes réalisées à partir d'objets trouvés. L'artiste utilise aussi la photographie et le cinéma, ses « films collages » sont novateurs, ainsi que ce qu'il appelait ses « explorations », archives en tout genre de documents imprimés.
Le surréalisme a eu une influence déterminante sur l'oeuvre de Joseph Cornell. Il est à l'origine de sa méthode de travail : le collage et les processus associés que sont le montage, la construction et l'assemblage. Si Cornell doit beaucoup au surréalisme — notamment sa conception fondamentale de l'image comme produit de la juxtaposition poétique — l'inverse est également vrai. L'exposition permettra de mieux comprendre ce que l'artiste a apporté au courant. Parallèlement, elle montrera le trajet artistique et poétique très personnel de Cornell, entre les scènes artistiques européenne et américaine puis dans ces temps de fracture provoqués par le conflit mondial et dont l'année 1945 est l'emblème.
Gilles Ghez est né à Paris en 1945. Son oeuvre se caractérise par ses références littéraires et cinématographiques entre autres. Elle inclut une forte dimension narrative et de nombreux traits d'humour.
Les surréalistes m'ont débarrassé de la contrainte esthétique en me faisant comprendre que l'on peut parler de n'importe quoi avec le langage pictural. Je suis peu à peu passé d'une sorte de surréalisme classique, avec des bestioles un peu fantastiques et des choses de ce genre, à une forme de réalisme, mais jamais dénué d'humour. Gilles Ghez, Extrait de la revue Verso, numéro d'octobre 2005
Une partie de son oeuvre se présente sous la forme de dispositifs scéniques en trois dimensions, ces oeuvres se transformant ainsi en théâtre miniature avec des personnages et décors miniaturisés.
Ce que je raconte, ce sont des aventures que je rêve
. Depuis une trentaine d'années, Gilles Ghez livre son esprit en trois dimensions, derrière les vitres de ses dioramas. Des boîtes de tous les formats dans lesquelles le dandy s'exprime à coeur ouvert. Le personnage qui me représente, lord Hartwood, est apparu en 1984. Il me fallait une incarnation
, explique-t-il. Dès lors, tous les fantasmes impossibles et inimaginables devenaient permis. Dans la peau d'un explorateur très british, l'artiste parcourt les mers et les océans. À commencer par ceux de l'Orient. Chic goélette, Veronica — clin d'oeil à Véronique, son épouse — qui l'accompagne régulièrement dans ses aventures.
Des aventures qui ne manquent d'ailleurs pas de références. À la littérature, à travers Conrad ou Stevenson. Au cinéma aussi. Mais pas seulement à travers la filmographie. Les références cinématographiques sont également évoquées à travers l'esthétique de ces boîtes. Entre plan séquence et vignettes de bande dessinée muettes en trois dimensions, les boîtes de Gilles Ghez sont une véritable bouffée d'oxygène. En fait, poursuit l'artiste, l'idée est de faire référence à tous les arts, sauf à la musique, même si ça m'est déjà arrivé
.