Une découverte de quelques reproductions d’œuvres d’art permet de s’inscrire dans une forme de familiarité de productions et peut être un déclencheur qui permet de s’approprier des idées qui font sens, ou de situer son cheminement en réaction à une œuvre.
Quelques artistes ont jalonné notre rencontre.
Baluba
Matériel/technique : Morceau de ressort, tiges métalliques, fil métallique, plumes, plastique, bois, moteur électrique, socle orignal peint en orange.
Lieu de conservation : Musée Tinguely, Bâle.
Lorsque le moteur Liliput de 110V est en marche, les sculptures se mettent en branle immédiatement, de façon imprévisible, comme dans un accès de frénésie. Leurs mouvements sont désordonnés et emballés ; chaque action les entraîne au bord de l’autodestruction. Avec ses « Balubas », Tinguely montre combien l’art et la vie sont à la fois éphémères et immatériels.
Ces sculptures ont été ainsi appelées par l’artiste en réaction spontanée à la situation politique de l’époque au Congo. « Baluba » est le nom d’une tribu des Bantous qui, sous la conduite de Patrice Lumumba, se battit en 1960 pour un Congo libre et indépendant. Par ce titre, Tinguely exprime sa sympathie particulière pour Lumumba, assassiné début 1961. La danse sauvage et ironique de ces objets éliminés, rejetés, illustre la tragédie d’un peuple combatif : « Je les appelais d’après le nom de ces Noirs formidables qu’on avait vus et qui portaient des armements bizarres. Ils avaient des boules de Noël sur la tête, des mitrailleuses auxquelles ils accrochaient des grelots – ils essayaient, en quelque sorte, de transformer à leur manière les armements modernes et dangereux. »
Les « Balubas » sont marqués par la joie et le désespoir, la fascination et la désillusion.
Bestioles ou bestiaire pour un enfant roi, éditions Grandir.
Samares, fragments d'écorce, bogues, racines...
Les ailes fragiles se sont posées sur une brindille.
Un bestiaire né de la forêt avance sur le sentier. Diagonale devenue chemin. Il mène à l'Arbonie ?
Sur la dernière page, feuille, terre, racine, le bois a pris corps. Le visage couleur d'ivoire pâle, un personnage du peuple nomade attend.
Guide, sentinelle, témoin.
« Le déjeuner en fourrure » 1936
Fourrure couvrant tasse, soucoupe et cuillère. (10,9cm par 7,3 cm)
Lieu de conservation : Musée d’Art Moderne, New York.
Artiste allemande ; peintre et sculpteur proche des surréalistes.
Elle témoigne dans ses objets d’un sens du jeu et de la liberté.
Suite à une idée de Picasso, de recouvrir chaque objet de fourrure, Meret Oppenheim participa peu après à une exposition des objets surréalistes et présenta son déjeuner en fourrure !
Par là, l’artiste ne déprécie pas son oeuvre, mais pose le problème du statut de l’oeuvre d’art : comment un objet de fabrication courante, privé de sa signification première et présenté comme oeuvre d’art, trouve sa place dans un musée ?
Projet pour un monument 1954
Matériel/technique : sonnette, fil de fer, crochet de porcelaine, gouache et crayon de cire sur ciment.
Dimensions : 50,5cm, par 13 cm, par 17cm.
Lieu de conservation : Barcelone, Fondation Joan Miro, donation de l’artiste en 1975.
Miró, dans son atelier, inventorie ses trésors, les confronte, les réunit au gré de sa fantaisie et du hasard jusqu’à ce qu’un assemblage pertinent s’impose. D’étranges créatures surgissent, faites d’éléments réunis par une magie combinatoire
La sculpture de Miró est proche du travail d'Arman par la collecte d'objets hétéroclites, de Picasso par l'assemblage et de Duchamp par le détournement.
Pour Picasso, l’objet sculpté est déconstruit puis reconstruit, glisse d’une signification à une autre, d’une présence à une autre, se métamorphose. Il est remis en cause par Duchamp qui se réapproprie l’objet manufacturé pour l’ériger en œuvre d’art. Il est recomposé par Arman qui joue sur les accords, la répartition des morceaux brisés, l’accumulation. Pour Miró, sans violence, sans colère, l’objet en trois dimensions est livré au hasard de l’assemblage et à la poésie de rencontres improbables.
Petite fille sautant à la corde 1950
Matériel/technique : bois, fer, céramique, plâtre, panier en osier, moule à gâteaux, chaussures.
Dimensions : Hauteur 152cm, Largeur : 65cm, Profondeur 66 cm.
Lieu de conservation : Musée National Picasso, Paris.
C’est dans la décharge proche de l’atelier du Fournas qu’il récupère les éléments de céramique et de fer qu’il utilise. Il réalise ses sculptures à partir de matériaux sans valeur ni qualité, conservant grâce à eux un ton de liberté, un caractère de bricolage improvisé malgré un important travail de dessins préparatoires. Assembler des objets trouvés n’est pas nouveau pour lui, mais il pousse ici le détournement ironique plus loin, en multipliant les détails réalistes et humoristiques comme le
bord en dentelle du chapeau, les anses de vase figurant les oreilles, les chaussures trop grandes et enfilées du mauvais pied. Mais l’intérêt essentiel de cette sculpture réside pour l’artiste dans la résolution d’un problème : suspendre un volume compact et massif à une armature légère.
D’après Françoise Gilot : « En regardant une petite fille sauter à la corde, il trouva la solution. Il fit exécuter, chez un quincaillier de Vallauris, une base rectangulaire d’où s’élevait, jusqu'à une hauteur d’environ un mètre, un tube de fer courbé qui avait la forme de la corde au moment où elle touche le sol. Les extrémités de cette « corde » servaient de support à la petite fille ».
Pour le montage original en matériaux légers, c’était suffisant. Pas pour le bronze, pour lequel Picasso ajouta en guise de soutien supplémentaire, la fleur et le serpent sur le socle, fixés en même temps que la corde. Les matériaux originels sont transformés par le coulage dans le bronze, qui leur donne l’unité que Picasso recherche.
L’utilisation du serpent sur le socle est significative de la formation classique de Picasso et de son observation aiguë de l’art ancien.
C’est un serpent que « l’Immaculata », la Vierge sur le croissant de lune des Espagnols, écrase du pied pour effacer le mal.