Poète, dessinateur, peintre, céramiste, cinéaste, Jan Svankmajer est un artiste multiforme difficile à définir, sinon par sa volonté de donner une forme et un espace à l'inconscient, à l'irrationnel de l'esprit humain… il résume son art de cette manière "Dans les vieux grimoires des sorcières, on disait que pour chasser un démon ou un monstre, il fallait trouver son nom. C'est la méthode que j'utilise pour chasser mes angoisses et mes peurs. Je les nomme dans mes films."
Né à Prague en 1934, Jan Svankmajer, de 1950 à 1954, y a suivi des cours à l'Ecole supérieure des arts décoratifs, puis ceux de la Faculté de théâtre et des beaux-arts de Prague (sur la marionnette). Au théâtre de marionnettes de la Lanterne Magique, il découvre le cinéma. A partir de 1958, il crée des collages, des objets et des sculptures tactiles. En 1964, il réalise un premier film d'animation de marionnettes-objets, dans le studio national tchèque, Kratky Film Praha. Quatorze autres films, mêlant prise de vue réelle et/ou plusieurs techniques d'animation, suivront jusqu'en 1974, puis quinze autres à partir de 1980.
Jan Svankmajer rencontre la peintre surréaliste Eva en 1960. Le couple fait la connaissance, en 1970, du poète et théoricien Vratislav Effenberger, chef de file du groupe surréaliste de Prague qui existe depuis 1934.
L'appartenance au mouvement surréaliste est avant tout spirituelle, comme Breton disait autrefois que le mouvement surréaliste était un « mouvement par et pour la vie », Svankmajer ajoute :" Le Surréalisme n'est pas un art, c'est un mouvement transversal qui comprend aussi la philosophie, la psychologie ou la psychothérapie. Il s'agit d'un chemin vers la liberté, c'est une manière de vivre »
Peu de temps après le printemps de Prague, le groupe surréaliste pragois entre de nouveau dans la clandestinité. Durant sept ans (1973-1979), Jan Svankmajer ne peut s'exprimer au cinéma. Deux de ses films sont interdits (Le Jardin, 1968 ! l'Appartement, 1968).
Paradoxalement, alors qu'il est privé de s'exprimer publiquement dans le cinéma, Svankmajer continue à produire des images dans les « ténèbres imposées », et c'est là sa période la plus créative, son imagination se fait plus labyrinthique, plus étrange, elle multiplie les chausse-trapes, les trouvailles drôles ou cruelles, jeux ironiques ou fausses pistes…
Alors qu'il travaille depuis la fin des années 50, son œuvre est restée peu diffusée ce qui a changé brusquement an 1983 lorsque le public du festival international d'Annecy a découvert, son court-métrage intitulé « Les possibilités du dialogue », grand prix du festival cette année-là. La méconnaissance de son travail qui perdure encore aujourd'hui venait en parti du manque d'ouverture du régime Tchécoslovaque qui a volé en éclat à la fin des années 80. Depuis son œuvre a été étudiée et Jan Svankmajer est reconnu comme l'un des maîtres de l'animation inspirant d'autres créateurs aussi diverses que Les frères Quay qui lui consacre le documentaire Le Cabinet de Jan Svankmajer en 1984, Tim Burton (L'étrange Noël de Mr Jack), Daren Aronofsky (Pi, Requiem for a dream), ou Terry Gilliam (Brazil) qui place « Les possibilités du dialogue parmi les dix meilleurs films d'animation de tous les temps. »
Comme beaucoup d'artistes plasticiens, Svankmajer n'aime pas se considérer seulement comme un « cinéaste d'animation », il préfère penser qu'il est un créateur qui utilise les médiums et techniques pour s'exprimer différemment en choisissant les moyens les plus appropriés. Cette approche du cinéma d'animation explique la liberté créative qui irrigue sa production… il ne crée pas à partir d'un support, il s'en sert.
Pour tout surréaliste, chaque objet est potentiellement « chargé » par ce qu'il a vécu. Chaque personne a « ses » propres « objets-clés », ouvrant sur des pièces mal éclairées ou aveugles de sa petite enfance. C'est ce qu'affirme Svankmajer quand il dit : « En accord avec les sciences ésotériques, je crois à la conservation d'un certain contenu dans les objets qui ont été touchés par des êtres en état d'extrême sensibilité. Ces objets, chargés émotionnellement sont alors capables dans certaines conditions de révéler ce contenu, et les toucher provoque des associations ou des analogies avec les images de notre inconscient. Ainsi dans nombre de mes films j'utilise des objets que j'ai entendus. » Certains jeux, certaines expérimentations des surréalistes ont pour but de mettre à jour les réseaux de divers objets, en fonction de leur résonance, de leur mémoire de forme, de leur potentiel de captation.
Svankmajer a également des obsessions pour la nourriture et l'activité d'ingestion d'aliments, on le voit de la forme de biscuit découpée dans le visage de l'autre, à la langue et au dentier presqu'ingérés par la tête de l'homme en construction dans le film "Obscurité-Lumière-Obscurité".
"Humaine trop humaine" est l'œuvre de Svankmajer dont la plupart des thèmes de prédilection renvoient au monde de l'enfance ce qui le pousse d'ailleurs à adapter assez librement et par deux fois Lewis Carroll avec la célèbre histoire de "Alice aux pays des merveilles" et "Jabberwocky".
Le monde de Jan Svankmajer est à voir les yeux grands fermés, il invite à l'introspection car comme le cinéaste le fait dire à Alice «vous devez fermer les yeux sinon vous ne verrez rien».
André Breton eut une relation privilégiée avec le premier groupe surréaliste de Prague, regroupé autour de Vitezslav Nezval et de Karel Teige. Dans le Manifeste du surréalisme écrit en 1924, André Breton définit ce courant comme « une association du réel et du rêve » qui vise "une réalité supérieure". Le surréalisme est également influencé par les thèses psychanalytiques de Sigmund Freud. Chez Jan Svankmajer on retrouve le concept freudien d'inquiétante étrangeté avec l'utilisation quasi-systématique des marionnettes. Une grande partie de ses films traitent aussi de l'enfance et de ses inquiétudes comme Alice (adaptation du roman de Lewis Carroll Alice au pays des merveilles). Le surréalisme et l'absurde chez Jan Svankmajer apparaîssent surtout dans les thèmes plus que dans son esthétique : dans son court-métrage Nourriture des hommes se transforment en machines le temps d'un repas.
L'esthétique de Jan Svankmajer a pu être qualifiée autant de baroque ou de maniériste que de surréaliste. Dans son film " Possibilités de dialogues", il rend hommage à la figure emblématique du maniérisme, le peintre Guiseppe Arcimboldo connu pour ses œuvres comme Été, Automne, Hiver et Printemps où des éléments organiques sont assemblés pour composer un portrait. De même, l’œuvre de Jan Svankmajer est caractérisée par les collages, les assemblages, et donne de l'importance aux corps (dans Jeux de pierres notamment). De plus, l'une des particularités de Jan Svankmajer est d'associer prise de vue direct et cinéma d'animation qui se fondent dans une même image, pour créer un univers fictif unique.