La marionnette comme intermédiaire permet de vrais moments de langage avec l’ensemble du groupe classe. Un vrai interlocuteur dans un lieu où la communication peut être artificielle. Elle permet de prendre la parole en toute authenticité car elle a à communiquer quelque chose de non connu et à entendre, à apprendre ce qu’elle ignore (à la différence de l’enseignant).
« Ce n’est pas parce que c’est utile que l’enfant apprend à parler, il suffit qu’il crie pour qu’on lui donne à manger ou qu’on le change. Si l’enfant apprend à parler, c’est parce que ça l’amuse », F. François.
Plus ils sont jeunes, plus les enfants ont besoin de séduction, d’attraction. Celle de la marionnette est plus forte que celle qui vient d’autres enfants (même plus âgés), de l’enseignant ou de personnes extérieures à la classe.
Le plaisir de communiquer au départ n’est pas verbal. Les premiers jeux donnent lieu à une communication, plus tard viendra le langage, écrit J. Bruner.
Les élèves de petite section écoutent puis parlent quand ils peuvent y trouver un plaisir immédiat lié à un support attrayant et ludique et à la qualité de la relation offerte par l’adulte (le temps d’animation de la marionnette est perçu comme un cadeau). L’enseignant, avec l’aide du personnage de la classe, crée la nécessité d’éprouver le besoin, le bénéfice, le plaisir de communiquer. Le langage naîtra de ce besoin. L’apprendre, c’est l’utiliser pour communiquer et non posséder un code élaboré. Viendra ensuite la conquête du goût de dire.
Comme pour un doudou, l’enfant transforme la marionnette en un être qu’il aime et qui l’aime. En classe, elle reçoit tendresse et affection. Sa manipulation peut apaiser quelques enfants violents. Ce personnage habité fonctionne comme un double du maître, mi-poupée, mi-enseignant. Il peut se permettre des choses que les enfants ne feraient pas avec l’adulte : parler sans timidité, invectiver, contester, affectionner et agresser. Les élèves lui font souvent la leçon. Certains, chez les plus jeunes, cherchent aussi à le frapper pour vaincre leur inquiétude ou pour vérifier « si ça vit vraiment ».
Le jeu a pour effet de situer la frontière entre le réel et le faire-semblant, l’imaginaire, le fictif. L’espace transitionnel de la marionnette est celui du jeu de Winnicott. Outre une double pratique clinique enthousiaste de son métier de pédiatre et de psychanalyste, dont il témoigne dans de nombreux ouvrages, on doit à Winnicott d'importantes découvertes telles que l'espace transitionnel, cet espace paradoxal ni intérieur ni extérieur situé dans l'espace potentiel entre le bébé et sa mère.
Transitionnel avec le monde
Conformément au rôle de l’école, la marionnette permet aux enfants de faire des essais en toute sécurité dans des situations réelles liées aux relations sociales et au monde extérieur.
Passant pour lever les inhibitions, quelques premières prises de parole en sa présence ont été observées en classe. Avec elle, l’ensemble des enfants (faibles parleurs compris) écoutent mieux et parlent davantage. Leur attention se trouve plus soutenue. Mais il s’agit de rester prudent, nous sommes en présence d’un outil, pas d’une solution universelle.
Le personnage de classe donne une identité collective. Emblème, signe, il crée un « nous » associé à des idées de fantaisie, d’invention et de plaisir.
En retrouvant régulièrement la marionnette, les enfants de petite section anticipent le déroulement de l’animation. Avant son arrivée, il peut être même envisageable de prévoir ensemble l’entretien en lui préparant une fête pour son anniversaire, en lui demandant quelque chose de nouveau…
Parler avec un objet animé, pour de très jeunes enfants, c’est déjà abandonner le matériel à toucher et entrer dans des premiers dialogues sans support matériel.
À partir de la grande section, la magie ne fonctionne plus avec le même charme. D’autant plus que les inhibitions que lèvent les marionnettes sont en bonne partie estompées. C’est en prévoyant l’entretien que s’exercera la capacité à prendre conscience de ses actes, à s’abstraire d’une tâche. Notons qu’une classe qui décide d’apprendre à sa marionnette une comptine se pose collectivement de vrais problèmes pédagogiques de transmission de savoir.
À cet âge, c’est le regard du personnage que l’on va solliciter. Il devient un témoin de la vie de la classe permettant la réflexion : « Vous êtes sortis de la classe pour faire des jeux, dit-il. À quoi jouez-vous ? Comment ? Expliquez-moi ! »
Il peut être également un conseiller ou un moyen détourné pour réfléchir ou affirmer ses positions sans s’engager : « Et que dirait-il si on lui demandait son avis ? ». Par ailleurs son intervention peut avoir pour effet d’attirer l’attention de l’enfant sur la communication et sur la manière de s’exprimer.
Cette pratique a pour but également de structurer et d’étayer le langage.
Attirante pour les enfants et plaisante pour l’enseignant, elle ne doit être ni trop petite ni trop encombrante. Sa proximité avec le corps du manipulateur facilitera l’animation (marionnette à gaine ou marotte, éviter les marionnettes à fils). Il y a des avantages à ce qu’elle puisse attraper des objets.
La manipulation en classe se fait à vue. Les enfants font la synthèse entre le corps, l’expression, le visage, la voix du manipulateur et l’action, le physique, les messages de la marionnette. Dans ce type de langage complexe, le regard des enfants effectue un va-et-vient entre marionnette et enseignant. Ils cherchent sur l’un ou sur l’autre ce qu’il leur est nécessaire pour comprendre, s’amuser, se rassurer. Certains, parmi les plus jeunes, ont besoin d’un peu de temps pour intégrer le contexte de cette nouvelle communication. Dans ce type de pratiques, la recherche d’une manipulation au plus près de la réalité n’est pas nécessaire. Nous sommes bien au-delà.
Le manipulateur aura pourtant avantage à transformer sa voix quand il fait parler son personnage. Ainsi les enfants identifieront mieux le locuteur. On cherchera une voix de personnage très simple à produire en jouant avec les paramètres suivants : la hauteur (grave, aigu) ; la vitesse (pas trop rapide pour les classes de petite section) ; les accents (nationaux, régionaux, classe sociale) ; les états (fatigue, nervosité, timidité…) ; des particularités « anatomo-physiologiques » (voix nasale, avec un Chamallow dans la bouche, léger zézaiement…) ; les voix de bouffons ou des stéréotypes de personnages (sorcière, ours, ogre…).
Le manipulateur doit prendre le temps de trouver sa tonalité et sa couleur de personnage. Les enfants sont nettement plus sensibles à la présence physique de la marionnette qu’à sa voix (cela a été vérifié en changeant de manipulateur pour un même personnage). Le plus important reste de croire en elle, d’être sincère et de lui transmettre son énergie en étant dans son regard.
En petite section, son arrivée peut être très ritualisée : elle se réveille sur une musique ou une comptine spécifique. Elle sort de sa maison. On peut également utiliser des jeux de réveil basés sur la voix, la respiration ou des rythmes corporels.
La marionnette s’adresse aux enfants. Elle raconte une histoire, présente une comptine, une poésie, chante, danse, anime des jeux, propose des sujets de discussion…
L’enseignant s’adresse aux enfants à propos de la marionnette présente mais non animée ou absente.
- On peut anticiper sur le déroulement de la séance et préparer son arrivée avec les enfants : « Que va-t-on lui demander ? Que s’est-il passé la dernière fois ? ».
- On lui fait effectuer une action ou on lui fait vivre un événement : elle va manger, se laver, faire du collage, se déguiser et toutes autres actions quotidiennes de la maison, de la classe… On lui prépare son anniversaire… Lors de ces séances, l’accent sera mis sur le travail lexical.
- On cherche à l’aider, à lui expliquer quelque chose ou à résoudre un problème qu’elle pose : elle part en voyage à la mer, les enfants doivent préparer sa valise. Un personnage de sorcière a cassé son balai, il faut le lui réparer…
Deux marionnettes en interaction se parlent, se disputent, posent un problème (lié au partage…). L’une d’entre elles peut prendre à partie les enfants. Ce type d’animation favorise le dialogue, les jeux de mots, quiproquos et malentendus.
L’enseignant peut utiliser des marionnettes pour raconter des histoires ou pour représenter différemment un récit déjà connu (tiré d’un album) dans le souci d’une meilleure compréhension.
La marionnette de classe, en dehors des périodes d’animation, pourra être rangée dans un lieu spécifique qui permettra ou non aux enfants de jouer avec elle.