Rôles, valeurs et natures de la musique au cinéma

Rôles, valeurs et natures de la musique au cinéma

La musique est présente depuis les débuts du septième art. Unique élément sonore au temps du cinéma muet, la musique est devenue au fil du temps un élément à la fois artistique et technique, qui participe à la valeur, au sens et à la philosophie du film. Son rôle, sa valeur et sa nature sont multiples, offrant la même diversité que les films eux-mêmes. Ce document synthétique aborde, à l’aide de quelques exemples, ces différents aspects. Les titres des films surlignés en vert renvoient à une vidéo en lien hypertexte.

 

RÔLES DE LA MUSIQUE AU CINÉMA

 

Le premier rôle de la musique au cinéma est de décrire.

Décrire une action, comme c’est souvent le cas dans les dessins animés (d’où l’expression de « Mickeymousing ») pour lesquels chaque geste est ponctué par la musique. Sans aller jusque-là, il arrivait fréquemment, notamment dans le cinéma des années trente que le rôle de la musique soit cantonné à cet aspect purement descriptif.

 Décrire un lieu, comme le fait John Barry dans « Out of Africa » afin de situer le film dans un contexte géographique bien précis ou comme le fait Alfred Newman dans le film « Airport ».

Décrire une époque : dans les films historiques, la musique utilisée peut appartenir à l’époque décrite ou, dans le cas d’une musique originale, être calquée sur la musique composée à l’époque, comme c’est le cas pour le film « Cyrano », composée par Jean-Claude Petit.

Dans « Forrest Gump », les chansons choisies se suivent dans un ordre chronologique, celui de la vie du personnage principal incarné par Tom Hanks, afin de situer l’histoire dans un contexte historique.

Décrire un sentiment, une émotion, l’état psychologique du personnage à l’écran : l’amour, la haine, la sérénité, l’admiration ou la nostalgie de Robert de Niro quand il retourne sur les lieux de son enfance dans « Il était une fois en Amérique », portée par la musique d’Ennio Morricone. La peur quand Gort, le robot géant, apparaît sur la musique de Bernard Herrmann dans le film « Le jour où la Terre s’arrêta ».

Décrire un personnage, c’est aussi le rôle de la musique. Le réalisateur demande parfois au compositeur de créer un thème pour chaque personnage. C’est évidemment le cas pour le plus célèbre des agents secrets, immédiatement identifié grâce au thème composé par Monty Norman et John Barry, ou pour le personnage principal incarné par Jude Law dans le film « Capitaine Sky et le monde de demain », musique composée par Edward Shearmur.

La musique joue un rôle aussi important que les images, en leur apportant un soutien, en renforçant leur impact ou, au contraire, en diminuant la portée de ce qui est montré à l’écran. Mais, au même titre que le son, le scénario, les dialogues ou le montage, la bande originale constitue aussi un élément qui contribue au sens du film.

La musique permet notamment de magnifier certaines scènes sans dialogues (déplacements, transitions…) qui seraient assez plates sans le soutien du compositeur. On le voit par exemple dans cette scène de « Rain Man », soutenue par un célèbre thème signé Hans Zimmer.

Elle peut la renforcer, comme dans « Les 7 mercenaires », où la musique d’Elmer Bernstein transforme une simple promenade à cheval en monument du cinéma. On pourrait multiplier les exemples en citant notamment le rôle central joué par la musique de Bernard Hermann dans les films d’Alfred Hitchcock.

Au contraire, elle peut en diminuer l’impact par une sorte de contrepoint, comme dans « Dirty Harry » où la tension de certaines scènes est contrebalancée par la musique très funky du compositeur Lalo Schiffrin.

Pour faire comprendre au spectateur que les terroristes sont allemands, le réalisateur John McTiernan a demandé au compositeur Michael Kamen d’utiliser la neuvième symphonie de Beethoven pour le premier film de la série « Die Hard ». C’est aussi un hommage au film « Orange Mécanique » de Stanley Kubrick.

La musique peut sciemment entrer en conflit avec l’image.

 Parce qu’elle anticipe l’image ou le dialogue, comme dans pour la scène de la radiographie dans « L’homme qui rétrécit ». L’image n’est pas explicite mais la musique annonce ce qui va suivre

Dans « La folie des grandeurs », la musique est en contradiction avec l’image puisque le film se passe en Espagne, à la fin du XVIIème siècle et que Michel Polnareff a composé, sur certaines scènes une musique correspondant à un western.

D’une certaine manière, c’est aussi le cas pour « Marie-Antoinette » de Sofia Coppola, même si l’intention n’est pas la même. Il s’agissait ici de moderniser le personnage et l’intrigue par des musiques actuelles afin de rendre le personnage plus proche de notre époque et ainsi amener une certaine empathie pour le personnage.

VALEURS DE LA MUSIQUE AU CINÉMA

Au-delà du rôle qui lui est assigné dans le film, la musique a une valeur intrinsèque, à tel point qu’elle a parfois une vie totalement autonome en dehors des salles de cinéma : dans les salles de concert, dans les écoles de musique, dans l’histoire de la musique en général ou simplement dans le quotidien des gens.

 La musique a souvent une valeur « empathique », permettant de mettre en avant un personnage, le rendre sympathique ou héroïque, afin que le spectateur s’attache et s’identifie à lui. Voici un exemple typique avec le thème principal de « L’as des as » signé Vladimir Cosma.

 Dans le même état d’esprit et pour mettre en valeur la progression d’un personnage, un thème spécifique est composé. Voici l’exemple le plus célèbre, et qui a d’ailleurs largement dépassé le cadre du cinéma : la scène de « montage » du film « Rocky », Oscar du meilleur film 1976.

 Au contraire, elle peut aussi entrer en contradiction avec l’ambiance ou l’action de la scène filmée, comme dans les films de Quentin Tarantino, ou comme dans « Casino » de Martin Scorcese. Dans ce cas, on parle de musique « anempathique ».

La musique est une des dimensions artistiques à part entière du film. Elle va donc au-delà de la description et elle peut, par conséquent, s’écouter sans le support de l’image.

Dans les péplums d’après-guerre (reprenant d’ailleurs en « technicolor » des scénarios tournées à l’époque du muet), une musique est construite, comme à l’opéra, avec un prélude, un entracte et même une « exit music ». C’est le cas notamment de la musique qu’Alex North a signée pour le film « Cléopâtre » ou celle de Michel Legrand pour le film « Ice Station Zebra ». Dans ce cas, on dit que la musique a une valeur « opératique ».

Il arrive fréquemment que certains thèmes composés pour le cinéma soient plus connus que le film lui-même. C’est le cas, entre autres, de la musique composée par Ryūichi Sakamoto pour le film « Furyo ».

Bien au-delà de son rôle « descriptif », la musique reflète l’intention, la direction artistique choisie par le réalisateur.

Dans « L’homme qui rétrécit », l’orchestration choisie est en rapport avec la catégorie du film. Dans un film de science-fiction, comme dans les thrillers, les films d’action, le style de compositions et les arrangements doivent se plier à ce que le spectateur attend de ce genre de film. L’ambiance étrange et horrifique du film se retrouve dans les instruments choisis par le compositeur (thérémine, ondes Martenot, générateurs de sons mais aussi les sourdines utilisées pour les cuivres) et servent le suspens induit par certaines scènes.

Dans « Les Granges Brûlées », le réalisateur a choisi de faire appel à Jean-Michel Jarre dont les instruments électroniques offrent un contrepoint intéressant à l’aspect « rural » du film.

La musique dodécaphonique composée par Jerry Goldsmith pour le film « La planète des singes » était un choix audacieux qui rend l’écoute difficile sans le support de l’image mais qui se justifie parfaitement dans une perspective purement cinématographique.

NATURES DE LA MUSIQUE AU CINÉMA

Il y a 2 sortes de musiques dans les films : intra diégétique et extradiégétique, avec toutes les nuances, tous les jeux utilisés par le compositeur ou le réalisateur pour échapper à cette classification par trop rigide !

 LA MUSIQUE INTRADIÉGÉTIQUE : C’est une musique que l’on voit ou qu’on entend physiquement dans la scène. Elle fait partie de l’action filmée.

Dans le film « SUBWAY » de Luc Besson, on voit le groupe de musiciens se former et interpréter une chanson. De nombreux autres exemples pourraient être cités, comme « Le Pacha », dont Serge Gainsbourg et Michel Colombier ont signé la bande originale.

Dans le film « L’homme qui en savait trop », non seulement les protagonistes assistent à un concert, mais la musique elle-même joue un rôle dans le déroulement de la scène. Pour la petite histoire, on notera que le compositeur Bernard Hermann, qui a signé la bande originale, dirige lui-même l’orchestre à l’écran.

LA MUSIQUE EXTRADIEGETIQUE : C’est une musique dont l’origine est extérieure aux plans qui composent la séquence en question. Au temps du cinéma muet, la musique était jouée au pied de l’écran avec des bruitages divers, ainsi que les explications du bonimenteur.

Voici un exemple classique de musique extradiégétique, composé par John Barry pour le film « Out of Africa ».

Dans « The Full Monty », la musique intra diégétique devient extradiégétique uniquement par un changement de mixage.

Bande originale ou musique préexistante ?

L’histoire du cinéma nous indique que la première musique composée spécifiquement pour le cinéma fut signée Camille Saint-Saëns pour le film « L’assassinat du Duc de Guise » en 1908. On voit donc que la création musicale et le cinéma sont liés dès le début de l’histoire du septième art.

Exemple célèbre entre tous de l’utilisation de la musique classique (au sens large) au cinéma, cette scène du film « 2001 L’odyssée De L’espace ». On pourrait également citer le film « Les trois Mousquetaires » de George Sidney, dont la musique est un arrangement de nombreux thèmes composés par Tchaïkovski.

Bien que composé et chorégraphié pour le film « Zorba le grec » par Míkis Theodorákis, le Sirtaki passe aujourd’hui pour une danse traditionnelle !

Pourquoi choisir ? La tendance actuelle est à l’utilisation de chansons appartenant souvent à la variété, donnant aux scènes un côté sympathique et permettant au spectateur de se sentir dans un univers connu. Les scènes non chantées sont illustrées par un « score » original. C’est le cas notamment du film « Le Journal de Bridget Jones », qui propose plus d’une vingtaine de chansons très célèbres, complétées par une bande originale composée par Patrick Doyle.