L'Animal n'est rien de moins que le premier sujet de l'histoire de l'art. Tout a commencé avec les peintures pariétales du Paléolithique et son défilé de bisons et de mammouths, à Lascaux et autres grottes ornées.
Depuis, la représentation animale n'a cessé d'inspirer les artistes de tous les continents et tous les styles. On pense évidemment aux divinités égyptiennes, à l'art héraldique, aux études d'animaux de la Renaissance italienne à la peinture du XIXe siècle (De Vinci et les chevaux ou Delacroix et les fauves), en passant par les natures mortes, de Chardin à Soutine.
Mais l'art contemporain a véritablement marqué un changement dans l'utilisation de l'animal : les artistes ne se contentent plus de le représenter, l'animal est devenu un matériau ou un acteur central de l'oeuvre.
Il semblerait que oui si l'on en croit les nombreuses espèces naturalisées qui sont apparues ces dernières années dans les expositions. L'animal empaillé est presque devenu un « classique » du genre.
Déjà en 1936, Joan Miro intègre à une de ses compositions intitulée Objet, un perroquet empaillé juché sur un perchoir. A la fin des années 50, Robert Rauschenberg a régulièrement assemblé bêtes empaillées et peinture dans sa série de Combines. Ces vingt dernières années restent marquées par les taxidermies du trublion Maurizio Cattelan, qui a lui pris le parti du cartoon, avec son cheval encastré dans un mur à des hauteurs improbables ou son écureuil suicidaire. C'est aussi l'humour qu'ont choisi Werner Reiterer et son chat propulsé au plafond par une bouteille d'hélium ou Daniel Firman avec son éléphant renversé tenant uniquement sur sa trompe. Le burlesque de ces oeuvres tend à désincarner l'animal, à désamorcer l'utilisation même d'un corps mort, qui devient alors moins épouvantail que personnage de cartoon. L'artiste Thomas Grünfeld s'est quant à lui fait une spécialité de la greffe entre deux espèces dans sa série des « Misfits ».
Ces oeuvres chimériques sont autant objets de fantasme que projection des potentielles dérives scientifiques que nous réservera un futur proche.
Le surréalisme attribuait déjà une fonction à l'animal : le téléphone homard de salvador dali ou la tasse poilue de Meret Oppenheim. Dans la droite lignée des surréalistes, Géza Szöllosi imagine un babyfoot dont les habituels joueurs ont été remplacés par des hamsters et des écureuils empaillés. Cette mise en scène de l'animal permet avant tout de parler de nos sociétés modernes, comme le faisait jean de la fontaine à travers ses fables.
Il en va de même pour des artistes comme le duo Philémon et Arnaud Verley et leur installation « Les Dupes » montrant des pigeons-leurres automatisés alignés en direction d'une lumière artificielle, ou la meute de loup qui vient s'écraser contre un mur en verre de Cai Guo Qiang.
Traitant de l'instinct grégaire et du phénomène de groupe, ces oeuvres résonnent particulièrement en ces temps de « groupe facebook » ou de « followers tweeter ». Plumes, poil, peau : la matière animale, Le poil, la plume, la peau ont de tous temps servis de matériaux de base à l'Homme.
Chez les artistes contemporains, ce sont les qualités plastiques de ces matériaux qui sont exploitées. Le crin de cheval chez Pierrette Bloch est avant tout un moyen graphique de tracer et nouer des lignes noires flottant dans l'espace. Rebecca Horn désolidarise des plumes d'oiseaux pour donner lieu à des sculptures aux formes géométriques simples.
Ces oeuvres ne suscitent évidemment pas la même controverse que les peaux tatouées de Wim Delvoye ! Les cochons qu'il élève en Chine sont tatoués vivants sous anesthésie alors qu'ils ne sont que des porcelets. L'artiste les laisse vivre paisiblement jusqu'à ce qu'ils soient tués. Puis il les naturalise ou tanne leurs peaux. L'animal exposé est à la fois objet d'art, support et surface graphique. C'est l'utilité de l'animal qui est ici interrogée. Il n'est pas plus utile de tuer un cochon pour ses qualités nutritives que pour les besoins de l'art, se défend l'artiste, qui cherche à ouvrir le débat sur la question de l'exploitation animale. Tout comme Damien Hirst, surnommé exagérément le « Dr Mengele du monde animal », Delvoye reçoit les foudres des associations de protection des animaux qui oppose à l'art l'éthique animale avant tout.
Un animal congelé, une technique de découpage ultra précise et du formol. Voilà comment Damien Hirst a crée ses premières oeuvres choc, qui ont fait de lui le bad boy du Brit Art. Là où la taxidermie tendrait à nous faire oublier l'aspect éminemment macabre de l'utilisation d'un corps animal, l'artiste britannique nous met carrément le nez dedans. L'oeuvre la plus controversée de Hirst présente une vache et son veau coupés dans le sens de la longueur et séparés en deux dans deux aquariums distincts. On peut donc circuler dans l'entre-deux corps et observer les parties internes, à la manière des cabinets de curiosités des muséums. Dans le même genre, une autre installation montre les morceaux d'une vache découpée en rondelles et exposée dans douze monolithes de plexiglas verticaux. L'animal ou l'insecte chez Damien Hirst est un memento mori constant, un effet miroir contre le sentiment d'immortalité qui anime selon lui nos sociétés.
D'autres artistes pratiquent la personnification de l'animal : un cerf bipède chez Sörine Anderson, un homme-oiseau en costard-cravate façon golden boy chez David Altmejd, un trophée de chasse grossièrement maquillé chez Pascal Bernier, etc. Inversement, certains artistes animalisent l'homme, par le poil, qui a littéralement envahi les mannequins anti-darwiniens de Markus Leitsch dans sa série « Suit » (l'oeuvre résonne particulièrement avec nos moeurs actuelles qui abhorrent le poil et dont, évolution oblige, nous serons de moins en moins pourvus), ou par la performance : l'artiste russe Olek Kulik décide de renoncer à sa condition humaine pour devenir chien, se baladant nu au bout d'une laisse, allant jusqu'à déféquer dans un musée et mordre un visiteur. Outre le grand-guignolesque de cette action qui peut largement agacer, Kulik aboie son désarroi face à une société qu'il dit ne plus comprendre et cherche à replacer l'instinct au coeur de toute action.
Tendance de plus en plus palpable ces dernières années, l'animal est devenu acteur de l'oeuvre, jusque dans les pièces de théâtre ou la danse contemporaine. Déjà en 1970, l'artiste belge Marcel Broodthaers enregistrait un dialogue absurde sur l'art avec son chat. Des années 2000, on retiendra la vidéo de Céleste Boursier-Mougenot qui a fait de dizaines d'oiseaux les musiciens amateurs d'une partition pleine d'humour et de poésie sur des guitares électriques devenues perchoirs. Dans un registre tout à fait différent, l'installation « Flying Rats » de Kader Attia, provoquait un scandale pendant la Biennale d'art contemporain de Lyon en 2005, avec ces cent-cinquante pigeons dans une vitrine, dévorant les silhouettes d'enfants d'une cour d'école constituées de pâte alimentaire pour oiseaux.
L'animal possède des qualités plastiques, graphiques et symboliques indéniables, mais il permet aussi une mise à distance, l'expression d'un propos plus subtil, moins frontal (à l'exception de Hirst) et tout aussi percutant. Mais, le débat passionnel, voire manichéen autour de son utilisation court-circuite les oeuvres et l'on ne retient souvent que le scandale qu'elles suscitent. Finalement, la figure animale amène aussi à interroger certaines limites de l'art contemporain.
Alexandrine Dhainaut : pour « Première », 27/12/2011