La série des Montagne Sainte-Victoire comme les Nymphéas de Claude Monet, les natures mortes cubistes (celle de Picasso, de Braque ou de Juan Gris) conduisent à méditer sur cette fascination du regard obsédé par un thème que le travail pictural fait disparaître par l’effet d’exercices formels de plus en plus déréalisant. C’est que le travail sériel contient le destin temporel de la vision: l’œil ne s’arrête pas arbitrairement sur un simple prétexte, il choisit l’objet sur lequel il va s’acharner, car la série a pour but de dénaturer et, à chaque moment de l’histoire, c’est une nouvelle idéologie de la nature à laquelle le peintre s’affronte.
Cézanne, dans la première série qu’il consacre, entre 1882 et 1887, à la montagne Sainte-Victoire , qui reste aujourd’hui comme son sujet de prédilection, en est arrivé à un style imprégné de classicisme. La construction formelle du motif est désormais déterminante, comme dans La Montagne Sainte-Victoire au grand pin, où les branches de l’arbre, au premier plan, accompagnent sur toute la longueur du tableau la courbure de la montagne, avec une intention évidemment décorative, teintée de japonisme. La touche, compacte et resserrée, disposée en vibrantes diagonales parallèles, acquiert une certaine autonomie par rapport aux objets représentés. Le coloris, plus éclatant et plus tranché, s’affranchit lui aussi du strict rendu réaliste: l’effet proprement plastique semble désormais primer.
C’est au même moment qu’apparaissent, dans les natures mortes, les distorsions de l’espace qui ne peuvent, comme on le pensait à l’époque, relever, à ce stade du développement stylistique cézannien, de simples maladresses. Incomprises en leur temps, elles sont ensuite devenues comme l’un des traits caractéristiques de son génie, génie d’un peintre annonciateur ou initiateur du cubisme. Ce côté prophétique semble bien loin, en tout cas, des préoccupations de l’artiste qui, dans les quinze dernières années de sa vie, rassemble tout son travail antérieur, en particulier dans la seconde série des Montagne Sainte-Victoire, Cézanne, qui disait, dans ces dernières années, progresser chaque jour un peu plus, écrivait pourtant en 1906 à son fils: “Enfin je te dirai que je deviens, comme peintre, plus lucide devant la nature, mais que, chez moi, la réalisation de mes sensations est toujours très pénible. Je ne puis arriver à l’intensité qui se développe à mes sens, je n’ai pas cette magnifique richesse de coloration qui anime la nature.” L’homme au travail dans un contexte paysagé.
Nymphéas est en botanique le nom savant des nénuphars blancs. Monet les cultive dans le jardin d'eau qu'il fait aménager en 1893 dans sa propriété de Giverny. A partir des années 1910 et jusqu'à la mort du peintre en 1926, le jardin et son bassin, en particulier, deviennent son unique source d'inspiration. Il dit : "J'ai repris encore des choses impossibles à faire : de l'eau avec des herbes qui ondulent dans le fond. En dehors de la peinture et du jardinage, je ne suis bon à rien. Mon plus beau chef-d'oeuvre, c'est mon jardin".
Evacuant l'horizon et le ciel, Monet concentre le point de vue sur une petite zone de l'étang, perçue comme un morceau de nature presque en gros plan. Aucun point ne retient l'attention plus qu'un autre, et l'impression dominante est celle d'une surface informe. Le format carré renforce cette neutralité de la composition. Cette absence de repère donne au fragment les qualités de l'infini, de l'illimité.
Jamais la touche du peintre n'a été aussi libre dans sa gestualité, aussi dégagée de la description des formes. Si l'on regarde la toile de près, on a le sentiment d'une totale abstraction, tant les traces de peinture déposées par la brosse l'emportent sur l'identification des plantes ou de leurs reflets. Le spectateur doit faire un constant effort optique et cérébral pour reconstituer le paysage évoqué. L'inachèvement des bords laissés non peints accentue encore cette insistance sur la peinture, comme surface couverte de couleurs, ce dont se souviendront après la Seconde Guerre mondiale les peintres, notamment américains, nommés "paysagistes abstraits" ou "abstraits lyriques".
Comme un ouvrier, le peintre a travaillé le sujet des constructeurs : "Quand j'ai bâti les constructeurs, je n'ai pas fait une concession plastique. C'est en allant chaque soir à Chevreuse en voiture, sur la route, que cette idée m'a pris... J'ai voulu rendre cela : le contraste entre l'homme et ses inventions, entre l'ouvrier et toute cette architecture métallique, ce fer, ces ferrailles, ces boulons, ces rivets. Les nuages je les ai placés techniquement, mais ils jouent par contraste..." Parti de croquis sur le vif, d'un grand nombre d'études préliminaires, le peintre retourne à un sujet plus réaliste, un sujet prétexte, à un art direct qui s'adresse avant tout aux travailleurs.
La série des constructeurs, une dizaine de tableaux et plusieurs études, annonce, Les constructeurs, définitif, la version la plus aboutie. Jouant sur les fausses perspectives et les couleurs, il organise un espace quadrillé par les poutrelles dressées à l'infini. Deux mouvements animent la composition : au premier plan, celui de la corde, au fond du tableau, celui des nuages. Elément insolite, la souche de bois, semble sortir du tableau et rappelle l'importance de la nature et des arbres dans l'iconographie de Léger. Les ouvriers bâtisseurs, tels des acrobates, défient les lois de l'équilibre. L'œuvre accompagnée des dessins préparatoires, a été présentée à la maison de la pensée française, en 1951. Impatient de connaître le sentiment des travailleurs vis à vis de son œuvre, il accroche pour quelques jours ses constructeurs dans la cantine des usines Renault : "j'ai apporté les constructeurs aux usines Renault et on les a installé dans une cantine.
A midi, les gars sont arrivés... mes toiles leur semblaient drôles. Moi je les écoutais et j'avalais tristement ma soupe. Huit jours plus tard je suis retourné manger à la cantine. L'atmosphère avait changé... Qui sait, les toiles les intriguaient-ils?... un gars me dit : vous allez voir, ils vont s'apercevoir mes copains, quand on aura enlevé vos toiles, quand ils auront le mur tout nu devant ; ils vont s'apercevoir ce que c'est que vos couleurs..." "ça fait plaisir ça!..."